L’interprétation, il ne s’agit pas d’y croire !

Alan Rowan

 

Le scandale de l’inconscient peut être formulé comme une irréductible perturbation subjective de ce que nous savons à propos de nous-mêmes. On y rencontre un savoir qu’on avait à son insu, une croyance à laquelle on ne croyait pas de croire ou, comme Lacan le résume : un « je pense où je ne suis pas, donc je suis où je ne pense pas[1] ».

Cependant, c’est une erreur d’en conclure que cet inconscient contiendrait un trésor mystérieux qui une fois découvert donnerait accès à une vérité dernière, moyennant quoi on serait en possession d’une « profonde vérité » sur soi-même : il s’agit de l’idée qu’après tout il existerait réellement un (supposé) sujet de savoir

C’est pourquoi, dans sa critique de Glover, comme Laurent le remarque[2], Lacan souligne que l’opposition entre le vrai et le faux ne suffit pas à rendre compte de ce qui est en jeu dans la pratique analytique. Bien évidemment, comme Miller[3] l’indique, il existe un travail de construction nécessaire dans l’analyse, précisément à partir des fragments de l’inconscient (du névrosé), jusqu’à la construction du fantasme par le biais d’une réécriture de ce qui se dit pour rendre manifeste ce qui, pour un sujet, ne cesse pas de s’écrire. 

Le paradoxe ici c’est que cette jouis-sens résonne dans un ré-chiffrage de manière à ce que le sujet puisse s’en séparer, autrement dit, ne plus y croire. L’enjeu n’est pas celui d’aboutir à une compréhension nouvelle ou libératoire en ce qui concerne la souffrance (même si quelque part cela a bien lieu) mais plutôt, on pourrait dire, de remettre en question la nature de semblant de la signification elle-même. Cela entraîne la rencontre avec le vide de la signification et de la finalité, ce à quoi toutes les religions donnent une réponse. 

D’une façon étonnante, mais fidèle à la logique de son enseignement, Lacan élargit la portée de son « il n’y a pas d’Autre de l’Autre » à la psychanalyse elle-même, en incitant les analystes à ne pas prendre sa « parlote » comme une « père-version » : ce faisant, d’une certaine manière, on chercherait de sauver le Nom-du-Père. 

Traduction : Lorenzo Speroni 


[1] Lacan, Jacques, “L’instance de la lettre dans l’inconscient, ou la raison depuis Freud”, Écrits, Seuil, Paris, 1966, p. 517.

[2] Laurent, Éric, “L’interprétation: de la vérité à l’événement”, texte d’orientation du congrès 2020 de la NLS présenté à Tel-Aviv en juin 2019, consultable sur le blog ici.

[3] Miller, Jacques-Alain, Marginalia à “Constructions in Analysis,” Psychoanalytical Notebooks, n° 22, London Society of the NLS, London, 2011, p. 47-74.