De la parole à l’écrit

Esthela Solano-Suarez

 

Une jeune femme demande une analyse pour sortir dit-elle, d’un état d’embrouille perpétuel. Rien ne va jamais. Ses projets échouent par manque d’entrain, par manque de chance. Elle laisse tomber. Elle se dispute en permanence avec son copain, ses amies, ses collègues, ses parents. L’insatisfaction règne et colore sa vie d’un gout de rien.

Elle a déjà fréquenté des analystes. A chaque fois elle les a laissé tomber s’éclipsant dans la lassitude.

D’emblée elle va mettre en acte son absence, de façon insistante. Je lui rappellerai alors que si elle veut faire une analyse la régularité est de mise. Autrement – j’ajoute – je ne donnerai pas suite.

Un rêve répondra à ce rappel de ma part : elle rêve qu’une amie lui fait part du décès de sa grand-mère. La rêveuse s’étonne de pleurer de façon inconsolable à cause d’un événement qui ne la concerne pas, puisque la grand-mère morte est celle de son amie et pas la sienne. Cependant elle pleure étrangement « comme si on lui arrachait une part d’elle-même ». Elle ajoute que le plus déconcertant dans ce rêve est le nom de la grand-mère morte énoncé par son amie : « Nono ».

Sur ce son j’arrête la séance sur un ton d’étonnement.

L’analysante est bilingue. Fille de mère française et de père espagnol elle parle depuis toujours les deux langues.

Elle viendra me faire part de sa lecture. Le « nono » vient dire sa position radicale de refus, le « non-non » constitutif de sa « grammaire » singulière. Ainsi elle pleurait dans son rêve, de façon inconsolable, la perte et l’arrachement de ce refus très intime conjugué au quotidien et mis en acte de façon symptomatique, étant à la source des doléances dont elle se plaint.

La lecture de l’équivoque rectifiera dès lors la lecture de « ce qui était écrit » : ainsi convient-elle, ce n’est pas le père qui aurait quitté sa mère, mais l’inverse. Et ce n’est pas le père qui l’aurait refusée elle, sa fille, mais c’est elle qui s’est mise à refuser tous ses gestes d’amour et de présence à son égard.

Cette lecture lui ouvrira la porte de l’analyse. Elle s’y met, sans refus.