L’interprétation et l’œuvre de David Lynch
Joost Demuynck
Il a été souvent écrit à propos des œuvres exposées par les artistes ou par leurs galeries qu’il revient au public d’estimer et interpréter les œuvres d’art. Mais il y a aussi la relation d’un artiste à son œuvre. Notre thèse est que l’œuvre interprète l’artiste.
Lynch est surtout connu chez le grand public pour ses films. Mais dès le début il a fait des œuvres plastiques et il a continué cette pratique toute sa vie. Lynch a refusé d’interpréter son œuvre avec des mots. Il utilise bien sûr des mots dans son œuvre mais c’est à cause de leur forme qu’il trouve ces mots « excitants et que quelque chose peut y naître[1] ». Un exemple d’un texte dans une peinture : « Because of wayward activity based upon unproductive thinking, Bob meets Mister Redman – Oh no[2]. »
Dans ses interviews Lynch nous offre des anecdotes de sa vie. Ses biographies et son documentaire, The Art Life en sont également parsemés. Même s’il y a à première vue des relations entre anecdote et image, l’image n’est pas une simple illustration. Dans son Séminaire XXIV[3], Lacan mentionne « un signifiant nouveau » : « Un signifiant par exemple qui n’aurait comme le Réel, aucune espèce de sens … ça serait un moyen de sidération en tout cas. » Notre hypothèse est que Lynch nous présente une nouvelle image[4] qui ne se laisse pas interpréter, qui n’interprète pas ses pensées inconscientes, et que Lynch cherche ce qu’il appelle « quelque chose de thrilling ». Un signifiant qui se réitère dans son œuvre. C’est une image qui n’a rien à voir avec le beau, le bien et le vrai ; mais, comme le dit Jacques-Alain Miller, d’un signifiant qui réveille[5]. Dans son argument pour le congrès, Éric Laurent a écrit : « l’éclair est aussi l’événement du corps qui vient marquer LOM qui a un corps et en souffre[6].» Le « thrilling » est cet événement du corps qui émane de l’œuvre de Lynch. C’est une interprétation de l’œuvre même qui marque son corps et réduit les évènements de sa vie à des rencontres fortuites et hasardeuses.
[1] Citation de David Lynch dans Païni D., « The Magic of Stones, Interview with David Lynch », David Lynch, Lithos, Item éditions, Hatje Kantz: Ostfilders, 2010, p. 16.
[2] « A cause d’une activité imprédictible, basée sur une pensée improductive Bob rencontre Mr. Redman – ah non » (notre traduction).
[3] Lacan, Jacques, Le Séminaire, livre XXIV, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, séance du 17.05.77, inédit.
[4] Miller, Jacques-Alain, « L’orientation lacanienne, Le tout dernier Lacan », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse Université Paris 8, séance du 23 mai 2007, inédit.
[5] Cf. ibid, leçon du 14 mars 2007.
[6] Laurent, Éric, texte d’orientation du congrès de la NLS 2020, L’interprétation : de la vérité à l’événement.