Interprétation et usages de la nomination
Patricia Bosquin-Caroz
De l’interprétation psychanalytique, je retiens surtout les usages particuliers de la nomination qui ont scandé trois moments de mon analyse : le repérage et la chute des identifications, le serrage et le débusquage de l’objet pulsionnel, enfin, la réduction du sens joui du symptôme au troumatisme de la lalangue.
Une nomination qui destitue, effet de witz
« Mais bien sûr, vous êtes ce jeune homme mis à mort ! », telle fut la façon dont le second analyste accueillit par un constat le repérage fantasmatique dont je lui faisais part. Cette interprétation produisit un soufflage instantané du rempart fantasmatique, tout en dénudant la jouissance sacrificielle que je tirais d’une identification idéale, la figure christique et son envers, l’identification masochique « de celui qui s’est fait identique à l’objet déchet laissé par la vengeance divine[1] ». La nomination « jeune homme », fit déconsister la brillance phallique christique, socle du fantasme et du même coup en allégea le fardeau par son effet de witz.
Une nomination jaculatoire, effet de trou
L’idéal christique entamé permit ensuite la mise au jour de la répétition d’un mode de jouir pulsionnel qui infiltrait la parole analysante. A cet égard, il y a lieu de souligner deux nominations marquantes de l’analyste, fonctionnant (surtout la seconde) sur le mode de l’injure, qualifiée par Lacan, dans son Séminaire III, de pic de la parole. La première, « vous êtes l’objet perdu de votre père », vint ponctuer l’émergence d’un souvenir où le sujet restait captif du regard anxieux du père fixé sur la petite fille suspendue au-dessus du vide. Dès-lors, la chute sans fin fera le lit d’un cauchemar infantile répétitif.
Toutefois le culmen de la nomination, fût la jaculation de l’analyste, incarnée par sa pantomime mimant une chauve-souris affamée d’humeurs mélancoliformes : « Vous êtes la première bouffeuse d’émotions rencontrée dans la clinique ! » L’effet immédiat en fut le débusquage d’une jouissance insue au sujet, une mise hors corps de la jouissance gourmande des larmes, par la corporisation d’une bouche grignotante. Ici, il ne s’agit plus de desserrer les identifications, mais plutôt de serrer une jouissance singulière, voire de l’extraire. « La bouffeuse », nomination qui épingle le mode de jouir oral du sujet fit trou dans l’opacité de la jouissance.
Une nomination qui circonscrit et borde le trou
Je fis encore quelques tours avant que ne se désactive le sens joui du symptôme, jusqu’au surgissement dans un rêve de fin (mettant en scène un laissé tomber) d’un insupportable et impossible à nommer, logé dans la voix maternelle que je dénommai, à mon tour, « désinvolture ». Troumatisme de la jouissance féminine, indicible mais cerné par cette nomination bordant les contours du trou logé au cœur de la lalangue. Trou de la passe tout autant, dont le parlêtre finit par émerger pour faire entendre sa voix dans l’École et poursuivre, selon l’expression d’Éric Laurent, son effort de nomination continu.
[1] Lacan, Jacques, Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Seuil, Paris, 2004, p. 255.