La croyance, de la vérité au réel

Clément Marmoz

« Et pourquoi ne pas interpréter une face de l’Autre, la face de Dieu, comme supportée par la jouissance féminine[1] ? » Cette proposition de Lacan sonne comme une invitation à ne plus interpréter la croyance au regard d’une vérité, même inconsciente, mais plutôt en référence à une rencontre avec un trou dans le langage. Déplions et voyons ce qu’il en est de la croyance quand elle est référée à la vérité ou référée au réel.

Dans « Le roman familial du névrosé », Freud montre comment nait la croyance et le droit de douter chez le petit névrosé. La croyance se réfère à une vérité venant du discours maternel quant au père, là où le petit sujet « saisit que pater semper incertus[2] » il n’a pas d’autre choix que de référer la vérité sur son existence au discours maternel. Lacan désignera comme Nom-du-Père cette vérité. Le père reste alors du domaine du symbolique, n’existant que dans le discours de l’Autre. Il n’est ainsi nul être conscient, d’où découle la véritable formule de l’athéisme pour Lacan : « Dieu est inconscient[3]. » Croire à l’aune de la vérité c’est croire à l’articulation du couple signifiant : Désir de la mère et Nom-Du-Père. Cependant cette opération laisse en suspens une énigme pour le sujet, celle de la jouissance féminine.

La croyance référée au réel devient tout autre chose. Dans Encore, Lacan nous dit qu’il croit en la jouissance féminine[4]. Cette jouissance n’est pas prise et ne pourra être pris dans l’ordre phallique. Elle se présente hors-sens, comme un trou dans le langage. Il y a un au-delà du langage où la vérité enfermée dans le monde symbolique ne peut que pâlir. Croire à la jouissance féminine c’est dire qu’il y a du réel dont on ne peut rien dire sauf qu’il est là et qu’il s’éprouve dans le corps sous la forme d’un événement. Dieu devenant le nom d’un trou dans le langage.

La croyance, quand l’on s’oriente du réel, ce n’est non plus l’articulation d’une vérité inconsciente mais bien plutôt la visée d’un événement contingent, celui de la rencontre d’un hors-sens. Ce premier événement est celui qui vient soutenir le dire qui pour un rien fait Dieu[5].


[1] Lacan, Jacques, Le Séminaire, livre XX, Encore, Seuil, Paris, 1975, p. 71.

[2] Freud, Sigmund, « Le roman familial du névrosé », in Névrose, psychose et perversion, PUF, Paris,1999, p. 159.

[3] Lacan, Jacques, Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil,  Paris, 1973, p. 58.

[4] Lacan, Jacques, Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit.

[5] Ibid., p. 44.