Interpréter : Trois challenges

Daniel Roy

 

Interpréter, dans une analyse, n’est pas du seul fait de l’analyste. Quand Jacques-Alain Miller énonce : « l’inconscient interprète », quel réveil pour nous ! Et si l’inconscient interprète, alors le rêve aussi est interprétation ! Retour à Freud : les rêves interprètent le désir… de dormir, rappellera Lacan. L’analysant aussi interprète, un peu, beaucoup, passionnément, voire à la folie ! L’interprétation, c’est la fonction et le champ de la parole et du langage dans leurs réalités effectivesAinsi, dans une cure, tout participe d’une atmosphère interprétative. 

Faut-il encore qu’il s’agisse d’une cure, c’est-à-dire qu’une supposition de savoir ait montré le bout de son nez. Et en ces temps où les parlêtres sont occupés à « gérer leurs émotions », à « se faire confiance, ou plaisir », à « écouter les messages de leur corps ou de leur cerveau », l’analyste mettra « toute la gomme » pour saisir à la volée un signifiant énigmatique, un paradoxe logique, une curiosité grammaticale ou biographique, et faire surgir le daimon de la tuche, susceptible de désarçonner ce nouveau « moi fort », dopé aux slogans et images déversés par les réseaux sociaux et soutenu par tous les gadgets qui « l’augmentent ».

Premier challenge donc pour cette face hyper-active de l’interprétation côté analyste.

Deuxième challenge, quand un savoir s’énonce : s’y plier, se faire docile à ce qui s’interprète et à qui interprète. Plusieurs voix s’y font entendre : pères et mères, maîtres et contremaîtres, voix de la conscience ou des pulsions, vociférations du surmoi, voix qui murmurent. Et pour l’analyste, une seule voie : les entendre dire leur bêtise, la suivre à la lettre, et apprendre avec l’analysant à la lire. Face hyper-lettrée de l’interprétation, si bien dégagée par l’enseignement de Lacan.

Troisième challenge, quand la cure s’installe dans cette atmosphère : aller contre, « déranger cette défense », avec tact ou sans gants, selon ce qui peut se supporter pour cet(te) analysant(e) là. Il convient alors pour l’analyste de « la boucler », faire taire la « machine à interpréter », de façon à laisser venir à l’être ce qui ne s’interprète pas, ce qui est simplement là, présent, déjà présent dans ces émotions, ce cerveau, ces plaisirs et ces messages, qui paraissaient si encombrants et ininterprétables !

Trois challenges pour l’interpréter en analyse : le produire, le suivre, lui dire que non. Trois opérations qui se nouent dans chaque cure de façon singulière dans leur rythme, leur temporalité, leur accent propre.