Ce qui résiste

Christos M. Alexandris

 

Pourquoi Freud a-t-il cru devoir introduire ces notions métapsychologiques nouvelles, dites topiques, qui s'appellent le moi, le surmoi et le ça? C’est qu’il y a eu, dans l’expérience qui s’est engagée à la suite de cette découverte, un tournant, une crise concrète. Pour tout dire, ce nouveau je, avec lequel il s’agissait de dialoguer, a refusé, au bout d’un certain temps, de répondre. Cette crise apparaît clairement exprimé chez les témoins historiques des années entre 1910 et 1920. Lors des premières révélations analytiques, les sujets guérissaient plus ou moins miraculeusement, et cela nous est encore sensible quand nous lisons les observations de Freud, avec leurs interprétations fulgurantes et les explications à n’en plus finir. Eh bien, c’est un fait que ça a de moins en moins bien marché, que ça s’est amorti au fil du temps. Voilà bien qui laisse à penser qu’il y a quelque réalité dans ce que je vous explique, à savoir dans l’existence de la subjectivité comme telle, et ses modifications au cours des temps, suivant une causalité, une dialectique propre, qui va de subjectivité à subjectivité, et qui échappe peut-être à toute espèce de conditionnement individuel. Dans ces unités conventionnelles que nous appelons subjectivités en raison de particularités individuelles, qu’est-ce ce qui passe, qu’est-ce qui se referme, qu’est-ce qui résiste[1]”. 

 Il s’agit d’un extrait donnant une explication propre de l'effort de Lacan pour élargir et enrichir les méthodes de l’interprétation psychanalytique. Pendant des années, Lacan nous a proposé de nouvelles méthodes qui ne se contredisent pas, mais qui s’accumulent. Son souci n’était que d'empêcher l’acte psychanalytique de devenir inefficace.

Le sujet résiste par tous les moyens, il se trouve toujours un pas devant l’analyste, donc l’analyste doit être constamment sur ses gardes pour tracer ces «tournants » où son acte cesse d'être effectif. Lacan essayait de nous prévenir et il n’a trouvé qu’un moyen pour le faire : celui de ne jamais comprendre trop vite, non seulement ce que le sujet énonce, mais aussi ce que l’analyste fait ! Il doit toujours s’interroger sur son acte. L'interprétation n’est pas jugée par son résultat, car il y a des résultats dans toutes les psychothérapies. L'interprétation est un acte psychanalytique et il est évalué comme tel, pour que l’on fasse ce que Lacan nous incite à faire, à savoir inventer. Pour que ça marche, il ne faut jamais se reposer, car ce qui résiste, c’est l’analyste lui-même.


[1] Lacan, S-II, 17-11-54, Page 21, livre de poche.